Ana Pérez Ventura

Pratiquer, répéter, mémoriser : Ana Pérez Ventura est pianiste et peintre.
"Les deux disciplines sont compatibles, on peut les affronter en même temps" dit-elle.

Dans ses œuvres la musique donne l'impulsion, la peinture expérimenté visuellement le passage du temps.

Plusieurs artistes ont tentés des trouver des équivalences entre la musique et la peinture, au nom de ce que l'on désigne par la synesthésie.

 

Le grand musicien russe M. Moussorgski a composé : Tableaux d'une exposition.

W. Kandinsky a associé les couleurs aux sons dans son livre : Du spirituel dans l'art.

Ana Pérez Ventura relève ce défi au pied de la lettre : elle peint comme elle joue du piano. Plus précisément, comme elle s'y prépare. Ainsi naissent ses Études.

Son poignet est souple, tout comme pour mener à bien son exercice sur le clavier. En haut de la toile, d'un geste circulaire elle organise des traces qu'elle reproduit en boucle. Au fur et à mesure, elle descend, et leur périmètre devient plus ample, son geste circulaire plus appuyé encore, il gagne en assurance. Elle change de couleur et recommence. Les mêmes légato se superposent, dacapo al fine, de haut en bas, elle recommence des dizaines et des dizaines de fois.

 

Ascétisme et subjectivité 

Elle retourne le toile et continue à répéter le même mouvement. Les traces s'enchevêtrent selon un rythme lent et régulier. La toile grésille. Les traits sur les traits brouillent les pistes. Ils s'épaississent et deviennent matière et la matière devient peinture. Toute l'organisation interne des Études est envisagées par cet entraînement qui matérialise le temps.

En 2004, elle se livre à une expérience éprouvante: pendant une semaine, à raison d'une heure par jour, elle compte à voix haute et en même temps elle trace par écrit la succession du temps à partir du chiffre 1. Dès lors chaque heure aboutit à un chiffre différent car la durée subjective du temps, le temps vécu selon le rythme interne de l'interprète échappe au temps artificiel objectivé par la montre.

L'œuvre Sans titre 60 mn, 14.06.2004 - 20.06.2004  est présentée avec un support audio et un livret.

La démarche d'Ana Pérez Ventura n'est pas éloigné de l'approche philosophique de la peinture réalisée par Roman Opalka. Pour cet artiste polonais le temps est " une unité en expansion", le fini et l'infini se joignent. Sur ses toiles les chiffres blancs sur fond blanc pâlissent imperceptiblement et tendent vers la dématérialisation.

 

Nuance et ambiguïté

En revanche, Ana Pérez Ventura pour ce qu'elle appelle " l'enregistrement subjectif de la continuité vécue du temps", est absorbée par la trame chromatique.

Entre ses nuances et ses couches successives, tissages ou écritures, les toiles affirment leur ambiguïté. L'épaisseur de son savant palimpseste laisse échapper une respiration intérieure qui leur ouvre d'autre perspective.

Entre les lignes comme entre des crochets,comme des portées, s'opère le miracle d'une véritable fête pour les yeux. On croit voire l'étendue d'un paysage (Étude n° 177) et le tréfonds de la mer (Étude n° 174).

Tout est ici en mouvement. Les couleurs rentrent en résonance comme dans un canon sonore, poussées par la force giratoire qui les constitue de l'intérieur. La musique est invisible, alors dans la peinture les tons bercent le temps et le murmure pour plaire à la vue.