IZABELA KOWALCZYK

dec2-1

Les fondamentaux plastiques comme objet de création

Ce sont des formes. Plus précisément des aplats, formés semble-t-il, de façon aléatoire, sans soucis de représenter ou de convoquer un quelconque référent plus ou moins identifiable. Les spéculations quant à l’origine de ces formes sont ouvertes. Nous sommes invités à cheminer sur les contours et à repérer les indices qui feraient sens. Je me suis attardé à penser qu’il se pourrait que ces formes pleines, peintes en noir ou en couleur, pourraient être les dessins de quelques ombres que projetterait un objet plutôt familier, sorti du quotidien, une ombre transcrite sur le plan de la feuille et qui se serait séparé de l’objet initial pour vivre son autonomie. Mais l’art est-il une devinette ? Bien sûr l’art pose des questions, et il nous invite le plus souvent à nous immerger dans l’image et dans l’histoire quand il y en a, et à inventer du sens… Mais… Et si l’oeuvre se limitait au fond à être ce qu’elle est, dans son état purement plastique : sa forme, sa couleur, son espace, limitant un relationnel au jeu des correspondances plein/vide, graphisme/aplat, fond/forme, contenant/contenu, mat/brillant, chaud/froid, droite/courbe, etc…? 


Je viens d’énoncer là, un vocabulaire plastique de base, des fondamentaux qui organisent toutes productions visuelles. Des complémentaires, de la binarité, de la dualité, il n’y a pas l’un sans l’autre. Pas de graphisme sans aplat : le trait du crayon sur une feuille en est un simple exemple, ainsi qu’une surface, quelle qu’elle soit, placée dans un tableau joue simultanément dans une relation forme/fond, ou forme et contre forme, etc…
Et si le travail d’Izabela Kowalczyk questionnait les premiers rudiments de l’expression plastique ?
Et si elle cherchait à s’en étonner, s’étonner que si peu de choses mises en présence, côte à côte ou superposées, imbriquées ou jointoyé, encastrées, parallèles, créent un événement plastique l’invitant à un voyage esthétique et poétique…? « En découpant le papier je vois se nourrir mon imagination » me dit Izabela. Cela revient à questionner le primat du faire, de la première

inscription. Découper, superposer des surfaces. Comprendre cet acte (le prendre avec soi), questionner la relation non sophistiquée du banal, de l’état premier, faire émerger la naissance d’un visible, s’étonner de ce qui éclot devant ses yeux. Déplacer les feuilles transparentes sur le support de la toile ou du papier, sans chercher un dessin a priori, se laisser surprendre, se laisser entreprendre par le jeu combiné du déplacement des aplats. Revenir à un état premier, être le primitif de sa rencontre, être le créateur insensé – ce mot dit à propos – parce qu’il n’y a pas de recherche de sens justement, si ce n’est la direction donnée aux surfaces en cours de translation. 
On peut voir dans ce travail des formes isolées qui flottent dans des espaces vides, d’autres formant, en se superposant, une autre forme tout aussi énigmatique que les autres. Mais on ne peut pas ne pas souligner ceci : ces formes aplaties font penser à des plans ; des plans d’une

architecture, d’un jardin, ou d’un espace indéfini, difficiles à reconstruire mentalement. Si ces formes planes sont des plans, il faut rappeler ce qu’est un plan : le plan de sol est le principal dessin d'architecture. « C'est une vue de dessus qui représente la disposition des espaces pour un bâtiment ou un objet, à la manière d'une carte ». Voici des plans, voici des cartes pourrait-on dire… Mais cela se peut-il ? Ces formes, dont on sent bien qu’elles ont une origine prise dans le réel, donnent envie de les élever, de soulever des coins pour en faire un objet tridimensionnel. Le plan a bien pour dessein, pour projet, son élévation… Il a en lui ce devenir promis, attendu, envisagé. La carte est également une surface qui est, comme le plan, le support à une réalité tridimensionnelle. Aussi, on ne sera pas étonné de voir, au fil du travail et des oeuvres de l’artiste, que les formes ont pris de l’épaisseur, et, comme pour soutenir ma réflexion, des charnières viennent « articuler » la rencontre de deux surfaces, comme pour les dire mobiles, comme pour les inviter à les relever comme une boîte qui aurait été dépliée et aplatie. Ce relèvement des côtés ne peut se faire que mentalement, et pour tout dire, à y voir de plus près, certaines charnières ne pourraient pas avoir de fonction opérationnelle de pliage. Mais s’il y a un sens qui commence à apparaître, ce pourrait être ce mot « charnière ». L’oeuvre se trouve à la charnière du plan et de l’élévation, entre les deux et les trois dimensions : deux espaces distincts où s’élabore la création artistique.


Une oeuvre qui serait emblématique à ce sujet, c’est la petite maison en volume constituée de 
plans assemblés par ces mêmes petites charnières. Elle n’est pas seule, les formes de départ que l’on a pu voir sur les papiers et les tableaux se prolongent sur des surfaces de plus ou moins grandes dimensions, appelées « Reliefs », faits de bois découpés et placées à quelques centimètres du mur, occasionnant une ombre portée dessinée par la découpe plus ou moins écrite de son contour. Ainsi, les formes primaires du départ, dont je supputais qu’elles étaient des ombres projetées et redessinées, deviennent à leur tour un objet qui fait ombre, tel un cercle qui se refermerait… Et, comme dans un non hasard sémantique, des cercles apparaissent en tant que formes nouvelles et affirmées dans ces plans posés à distance du mur.

Jusqu’à présent nous nous sommes tenus plus particulièrement à l’aspect formel des surfaces en présence, sans avoir signalé leur mise en espace dans des compositions toujours très équilibrée, l’équilibre et l’harmonie qui sont des constituants de l’art.
Et la couleur me diriez vous ? Le traitement coloré de ces formes n’est pas une quelconque surface de peinture. Comme pour un tableau, ce dont il est bien question ici aussi, le balayage de la couleur, les vibrations de la touche, la transparence et l’opacité des couleurs, le glissement des teintes les une sous les autres, ainsi que le mariage des tons chauds et des tons froids, ou la peinture mate et brillante qui jouent leur partition, disent à nouveau le questionnement des fondamentaux de l’expression plastique.

Pour finir, je dirais que le processus d’abstraction et de synthèse, réduit la représentation à un état originaire qui exprimerait les constituants premiers de l’expression mis à la disposition de l’artiste. Point n’est besoin de grandiloquence pour se faire entendre. L’expression minimale d’un propos

crée plus d’écho que le bruit, même si on doit aller le chercher dans le silence. Et pour reprendre une phrase de l’écrivain Richard Bach (*) : « Les choses les plus simples sont souvent les plus vraies. »

 

Bernard Muntaner, Janvier 2014

(*)Jonathan Livingston, Le Goéland

 

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