Exposition " Nous et les autres"

Musée de l'homme - Paris 16
Du 31 mars 2017 au 08 janvier 2018 

Au Musée de l'homme, l'exposition "Nous et les autres" tente avec succès de déconstruire le racisme. L'occasion de s'intéresser au racisme sous l'angle de la sociologie, 

qui l'analyse en trois étapes : la catégorisation, l'essentialisation et la hiérarchisation.

 

Cette femme ? Probablement chrétienne et cadre. Cet homme ? Sans doute musulman et employé. Et celui-ci ? Noir et bobo. Dans le hall cylindrique, sur les écrans disposés en arc-de-cercle, les individus qui patientent à une terrasse de café ou sans un aéroport ont vite fait de se voir attribuer des étiquettes. Au Musée de l’Homme, l’exposition “Nous et les autres, des préjugés au racisme” tente de déconstruire les comportements qui mènent au racisme en commençant, d’entrée de jeu, par aborder ce dernier du point de vue de la sociologie. L’occasion de se pencher un peu sur la question en compagnie de la sociologue Faïza Guélamine, membre associée à l'Unité de recherches Migrations et société de Paris 7.

Si l’exposition commence par une série d’étiquettes qualifiant des individus, c’est parce qu’en matière de sociologie, lorsque l'on cherche à identifier les comportements qui mènent au racisme, on identifie d’abord la volonté de mettre dans des cases, de catégoriser, à laquelle viennent s'ajouter des processus d'essentialisation et de hiérarchisation. “Le processus de catégorisation est général, quotidien et nécessaire socialement, temporise cependant la sociologue Faïza Guélamine. Tout le monde opère des processus de catégorisation sur tous les objets : quand on a affaire à quelque chose qu’on ne connaît pas, on veut rapprocher cette méconnaissance de ce que l’on connaît déjà”.

De la catégorisation à l’essentialisation
Si la catégorisation est un processus naturel, elle tend rapidement à déboucher sur des mécanismes qui relèvent de l’inégalité, car si la catégorisation n’a rien de raciste en elle-même, elle conduit facilement à l’essentialisation, c’est à dire à la réduction d’un individu à une seule de ses composantes. Elle l’enferme ainsi dans une catégorie fixée, monolithique.

La salle d’attente de l’”aéroport des préjugés” permet au visiteur de prendre conscience des mécanismes par lesquels il se définit ou non dans un groupe.

“Le processus d’essentialisation est un processus de réduction des personnes à une catégorie, on le définit à travers cette appartenance”, détaille Faïza Guélamine. Les catégories positives font partie ici, au même titre que les catégories négatives, d’une organisation raciste : “_Des fois les gens disent ‘Mais je ne suis pas raciste, je dis justement que les noirs ont un super bon sens du rythme’. Sauf qu’on réduit les noirs à une dimension qui peut être folklorique et on naturalise complètement des aspects qui sont liés à une histoire, une socialisation. Le processus d’essentialisation ça peut être à travers des perceptions qui se veulent positives, laudatrices, mais qui au fond, finissent toujours par réduire les personnes à des caractéristiques qui sont censées être celles de la catégorie à laquelle elle appartient. La dimension de la personne est niée au profit d’une perception très globale de ce qu’elle est, parce qu’elle est d’origine ceci ou cela._” Un concept que ne manque pas d'illustrer l'exposition "Nous et les autres" lorsque, en passant sous un portique de sécurité, le visiteur se voit ainsi affublé d’un “Toi, tu aimes les plats épicés” ou “T’es un voleur”.

Hiérarchiser pour mieux dominer
Ça n’est pas catégoriser qui pose problème dans les processus de racisation, de racisme. En revanche, dans le processus de catégorisation raciste, il y a forcément une hiérarchie qui se construit à partir de ces catégorisations. Faïza Guélamine

La catégorisation, une fois teintée du prisme de l'essentialisation, n'échappe à une certaine forme de hiérarchisation, comme l'explique Faïza Guélamine : “Ça va être une langue différente, des coutumes différentes, une couleur de peau, des aspects qui paraissent étrangers. Même s’ils sont connus, ce sont des aspects que l’on rattache, que l’on associe, à des spécificités psychologiques, culturelles… Comme si effectivement ça allait de pair. Vous êtes noir donc forcément ça renvoie à tel comportement, ou à telle culture qui est réduite à ce qu’on peut en connaître, donc toujours de façon schématique. C’est ceux qui sont en bas de la hiérarchie qui, justement, sont racisés. Et cette hiérarchisation sert à justifier des rapports de domination, explicites, implicites, conscients, inconscients, symboliques, ou que l’on retrouve dans des systèmes politiques de type apartheid ou ségrégationnistes.”

Le mode de catégorisation raciste, comme le sexisme, a un rapport de domination : on a tout intérêt à essentialiser l’autre. Ça justifie le fait qu’on peut avoir des droits sur eux. Faïza Guélamine

La création de catégories justifie implicitement une distinction entre groupes majoritaires et minoritaires. Ainsi, pour peu que l’on appartienne au groupe dit majoritaire, donc non victime de racisme, on ne distingue pas “les attributs auxquels on a droit. On n’interroge plus ces modes de catégorisation quand on est dans la dimension des rapports majoritaires-minoritaires parce qu’elle nous paraît naturel. Et dans le langage on entérine complètement ces perceptions sans se rendre compte qu’on est effectivement dans une posture où l’autre est minorisé à travers ces catégorisations. Et au contraire, on ne se voit pas appartenir à une catégorie qui nous fige dans des définitions. Le couple majoritaire minoritaire est un peu infernal : c’est que l’autre, celui qui est minorisé, au contraire de moi, le majoritaire, est vraiment défini une fois pour toute."

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Pour peu que le visiteur joue le jeu, l’exposition réussira certainement son pari de le pousser à s’interroger sur ses propres comportements, sur les processus de catégorisation qu’il applique sans même y penser, et à les remettre en question. Elle se conclut, d'ailleurs, par un nécessaire état des lieux sur la situation en France et, en s'appuyant sur plusieurs études récentes, délivre de nombreuses données qui viennent mettre à mal ou confirmer l'idée que l'on se fait de la discrimination ici : ainsi, si 93 % des enfants d'immigrés se sentent français, 24 % d'entre eux sont convaincus de ne pas être perçus comme tels. Des chiffres d'autant plus pertinents qu'ils permettent de prendre un peu de hauteur sur ces thématiques, à quelques semaines de l'élection présidentielle.