Exposition Au-delà des étoiles

Du 14 mars jusqu'au 25 juin - Musée d'Orsay 
Wenzel Hablik, Château de cristal en mer, 1924

Jusqu’au 25 juin prochain, le musée d’Orsay consacre une grande exposition à un sujet aussi vaste que passionnant : le paysage mystique. A la fin du XIXème siècle, le paysage est utilisé par beaucoup d’artistes comme support pour entrer en contact avec le spirituel, avec un univers qui s’élève au-delà de la présence concrète, physique, du monde. De l’impressionnisme à l’abstraction, de Monet à Kandinsky, bienvenue dans un tour d’horizon passionnant et exaltant au plus profond des méandres de l’esprit. 

 

L'exposition est  très regardée pour l'angle audacieux qu'elle propose: rassembler autour de la notion de paysages mystiques une série de peintres que l’on voit rarement , voire jamais accrochés ensemble. Le but de l'exposition : montrer comment la notion de contemplation, voire le sacré sont en réalité au cœur du travail et relient ensemble des peintres comme Gauguin, Maurice Denis, Ferdinand Hodler, Vincent Van Gogh, Chagall, et jusqu'à Kandinsky et Mondrian. Tous ont été influencés par le symbolisme,

Au-delà des grands peintres de l’expressionnisme et des pièces maitresses de la collection du musée d’Orsay, cette exposition particulièrement fournie présente, parfois pour la première fois des peintres méconnus ou oubliés en France : l’incroyable Belge Henri le Sidaner, peintre du silence vénéré par Marcel Proust, mais aussi des peintres américains ou scandinaves, confrontés aux grands espaces, comme Giorgia O'Keeffe ou Emily Carr. L’une des plus belles pièces reste cette "Vague" issue d'une série du Suédois August Strindberg, souvent bien plus connu pour son immense travail de dramaturge, mais qui fut aussi, on le mesure ici, un très grand peintre de la nature. Autre touche-à-tout dont le travail émerveille et surprend, le Tchèque Wenzel Hablik, fasciné par les cristaux, dont la stupéfiante toile «Château de cristal en mer » est présentée pour la première fois en France. 

Entrer en contact avec un ordre situé au-delà des apparences physiques, dépasser les réalités matérielles pour approcher les mystères de l'existence, expérimenter l'oubli de soi-même dans l'unité parfaite avec le cosmos : toutes ces quêtes caractérisent le mysticisme, phénomène spirituel présent en parallèle de toutes les religions, sur tous les continents.

Pourquoi ne pas en reconnaître la présence dans la peinture symboliste occidentale qui, au crépuscule du XIXe siècle, cherche précisément à élever l'art au rang de médium de l'ineffable, et l'artiste au grade d'initié ?

En Occident, le paysage est reconnu depuis la Renaissance, et plus encore depuis l'époque romantique, comme le genre pictural réputé rendre possible la traduction formelle de sentiments intérieurs et introduire le spectateur à des expériences spirituelles immédiates non formulables par le langage, tout en prenant pour base la représentation d’un environnement naturel stable, mesurable et familier.

L'élévation vers l'infini, l'épreuve de la nuit, la quête de lumière, la recherche de fusion de l'individu dans le tout, l'expérience des forces transcendantes de la nature : ces situations, à la fois sensibles et spirituelles, recherchées ou éprouvées tant par le peintre de paysage symboliste que par le spectateur de ses œuvres, s'apparentent aux étapes du cheminement mystique.

La sélection d’œuvres comprend des paysages de Gauguin, Denis, Monet, Hodler, Klimt, Munch, Van Gogh, mais aussi des principaux représentants de l'école canadienne des années 1920-1930, tels Lawren Harris, Tom Thomson ou Emily Carr.

Traditions mystiques laïques, catholiques et protestantes entreront ainsi en dialogue, tout comme le rapport à la nature avant et après le cataclysme de la Première Guerre mondiale.

Au risque de paraître un tantinet académique, abordons le sujet par sa définition, car elle est étonnante de signification. Mystique donc (ou mysticisme) est un terme qui, selon Wikipedia le sage, « sert à qualifier ou à désigner des expériences spirituelles de l’ordre du contact ou de la communication avec une réalité transcendante non discernable par le sens commun». Cette expérience d’une « réalité transcendante» semble trouver un écho extrêmement fécond dans l’art en général, dans la peinture en particulier  et dans la peinture de la fin du XIXème siècle et du début du siècle suivant en tout particulier : la tension de l’individu vers l’infini, la puissance du subjectif face au monde, l’expérience de la beauté moderne telle qu’elle a été initiée par Baudelaire, il serait même tentant d’envisager une mystique esthétique, à détacher du mysticisme religieux.

Voilà globalement le sujet passionnant qu’a choisi d’explorer le musée d’Orsay dans sa nouvelle exposition intitulée un peu prosaïquement Au-delà des étoiles, Le paysage mystique de Monet à Kandinsky. De l’impressionnisme (Monet donne le ton à tout ce qui suit) à l’abstraction (même si l’on déplore la présence de seulement deux Kandinsky), l’exposition laisse place à des artistes venus de tous horizons qui ont pour point commun et pour point de départ la représentation du paysage, envisagé dans sa capacité à traduire autre chose, à explorer au-delà et vers l’infini, ou inversement.

Motif
Tout commence effectivement avec Monet qui, dans son rapport au motif, nous permet d’entrevoir et de comprendre tout ce qui va suivre. « Le motif, disait-il, est quelque chose de secondaire, ce que je veux reproduire, c’est ce qu’il y a entre le motif et moi». Ainsi se présente à nous la série des représentations de la cathédrale de Rouen : un même objet à des moments différents. Ce qui compte ici n’est pas l’objet, cette cathédrale qui est strictement la même d’une oeuvre à l’autre, mais l’instant, l’impression spirituelle, ce qui se présente entre la cathédrale physique et le regard du peintre. Voilà qui ouvre le chemin aux artistes qui suivront dans l’exposition, chacun inspiré par tel ou tel motif (qui finira par disparaître chez les abstraits), chacun exprimant ses propres sensations à travers une expérimentation formelle souvent savoureuse. Les yeux ont assez vu, c’est maintenant l’âme qui regarde.

Des montagnes du Nouveau-Mexique aux aurores boréales scandinaves, de la lumière intimiste d’un parc bruxellois aux couleurs bariolées des forêts des nabis, nous avons là affaire à un tour du monde littéral, géographique, qui est à la fois un tour d’horizon symbolique, un tour d’horizon des esprits et des sensibilités.

Les liens qui unissent les artistes de chaque salle sont absolument exaltants, malgré la différence des objets qu’ils s’appliquent à représenter : pour certains tout est dans la lumière, pour d’autres dans la sensualité des formes (oui Madame O’keeffe, c’est de vous qu’on parle) ou dans une quête spirituelle parfois même un peu perchée.

Mystique, mi-raison
La quête intérieure de cette beauté sensible et invisible reste, chez certains, attachée à la religion, à une religion quelle qu’elle soit. C’est notamment le cas de Charles-Marie Dulac, peintre décorateur qui, se sachant touché par une maladie incurable, se tourna vers un catholicisme radical à la symbolique grandiose.

La nouvelle exposition du Musée d’Orsay nous offre donc un panorama éclectique et complet, un portrait détaillé de ce renversement crucial de l’Histoire de l’art : l’idéal change, l’exploration de l’intériorité se traduit par la représentation de grands espaces dont l’immensité correspond à celle des paysages de l’esprit. Un voyage stimulant, exaltant et introspectif où les chocs esthétiques pleuvent afin de nourrir une réflexion scientifique claire et aboutie : ouvrez grands les yeux, perdez-vous dans les cieux, vous inspirerez pleinement la beauté infinie du souffle de l’esprit.