Camille Claudel a (enfin) son musée
Nogent-sur-Seine
Le 26 mars a été inauguré à Nogent-sur-Seine le premier musée consacré à Camille Claudel. Soixante-quatorze ans après sa mort, l’œuvre de la sculptrice se révèle enfin dans toute sa singularité.
Camille Claudel (1864-1943) vécut à Nogent-sur-Seine de 1876 à 1879. C’est dans ce petit village de l’Aube, à une heure de train de Paris, qu’elle découvrit à peine âgée de douze ans sa vocation artistique. Un musée, adossé à la demeure familiale réhabilitée par la municipalité
Tout en briques, comme les maisons qui le bordent, il expose la plus grande collection au monde des sculptures de Camille Claudel. Et permet de découvrir l’artiste à travers son œuvre et non son destin (incarné au cinéma par Isabelle Adjani ou Juliette Binoche), marqué par sa passion destructrice pour Rodin et son enfermement trente années durant dans un asile du Vaucluse.
Le musée expose 200 sculptures dont 43 de Camille Claudel, achetées en 2008 par la collectivité à Reine-Marie Paris, petite-nièce de l’artiste (pour 13,5 millions d’euros). Mais il faut patienter jusqu’au premier étage, pour les admirer. Une attente frustrante mais indispensable pour comprendre les influences de Camille Claudel et la manière dont elle s’en est affranchie. En effet, le parcours débute avec les pièces de ses contemporains tels Marius Ramus, Paul Dubois et Alfred Boucher, qui le premier repère le talent de Camille Claudel qu’il recommandera ensuite à son ami Auguste Rodin. Cette section dresse le panorama de la sculpture du XIXe et du début du XXe siècle, un panorama enrichi de films qui en expliquent les techniques.
Ni muse ni soumise
Camille Claudel entre à 19 ans comme praticienne dans l’atelier de Rodin, de vingt-quatre ans son aîné. Elle y exécute notamment les mains et les pieds des figures destinées aux sculptures monumentales comme "La Porte de l’Enfer", tout en poursuivant ses propres recherches. Toutes les étapes et les facettes de sa carrière sont ici retracées, de la salle 11 à la salle 15 : elles démontrent que « Contrairement à ce que beaucoup croient, Claudel n’a pas suivi Rodin, ils se sont nourris l’un l’autre », affirme Cécile Bertran, la conservatrice du musée.
Cet esprit d’émulation est notamment illustré avec la reprise par Rodin de "La Jeune Fille à la gerbe" sculptée par Claudel ou leur version respective de la "Femme accroupie".
“Je lui ai montré où trouver de l'or, mais l'or qu'elle trouve est bien à elle”
Mais cette influence à double-sens cesse lors que Camille Claudel, impatiente d’affirmer sa personnalité et d’obtenir la reconnaissance publique à travers son œuvre personnelle, quitte l’atelier de son maître et amant en 1893, dix ans après leur première rencontre. « Je lui ai montré où trouver de l'or, mais l'or qu'elle trouve est bien à elle », déclare alors Rodin.
En témoignent la série de chefs-d’œuvre, magnifiquement éclairés grâce à de larges baies vitrées, qui révèlent tous les aspects de son génie : le portrait ("La Petite Châtelaine"), la force expressive ("La Vieille Hélène"), les croquis d’après nature ("Les Causeuses"), le mouvement ("La Valse"). « Tu voix que ce n’est plus du tout du Rodin, et c’est habillé », dit-elle en 1893 à son frère, l’écrivain Paul Claudel, à propos de ce couple de danseurs. Ironie du calendrier, le musée Camille Claudel ouvre ses portes l’année ou le Grand Palais célèbre le centenaire de la mort de Rodin.
Musée Camille Claudel, 10, rue Gustave Flaubert, Nogent-sur-Seine (10).
"Camille Claudel n'était pas une victime, c'était une femme en avance sur son temps, voire même une héroïne."
Anne Delbée